JESSICA SAVAL
Ulysse Manhes a 24 ans et mène plusieurs vies parallèles : il fait une thèse en philosophie à l’ENS, anime une émission sur France Culture (sur l’Europe centrale), séjourne régulièrement entre les Balkans et la Turquie, organise des rencontres littéraires et musicales dans un café culturel, et crée des passerelles entre tous ces mondes par des collaborations originales.
Il est aussi (et surtout) auteur-compositeur interprète, habitué des scènes parisiennes et amiénoises, joueur de guitare et de baglama, collaborateur pour divers artistes de genres éclectiques (chanson française, jazz, musique grecque, yiddish…). Ses multiples activités se nourrissent réciproquement et se reflètent dans la richesse, complexe et nuancée, de ses textes et de ses mélodies. Voilà une quinzaine d’années qu’il compose à la guitare ; parfois, il écrit et compose pour d’autres, comme Sylvie Vartan, en 2020, pour la chanson "Tout bas, tout bas" (sur Merci pour le regard). Il sait aussi s’entourer d’artistes divers, comme le pianiste Léonard Lasry, le violoncelliste classique Roman Cazal, et les quatre musiciens qui ont co-arrangés son EP : Hugo Minvielle, Benjamin Michel, Chloé Antoniotti et Nicolas Gossiaux.
Après deux premiers singles parus l’année dernière ("Pour toi que mon cœur" puis "J’ai dû rêver" - accompagné d’un clip), il sort en octobre les six chansons de son EP, enregistré à Amiens, en Picardie, au studio Bleu Lune de l’arrangeur Boris Pelosof. Ce premier EP, Nos désirs provisoires, est à la fois un aboutissement et un point de départ : aboutissement car l’album présente une véritable unité cohérente, dans sa sonorité, son intention, son énergie et ses sujets ; un mélange d’esprit live (dans le dynamisme des arrangements) et de méticulosité de studio. On entend dans ses chansons tout à la fois la maîtrise et la fraîcheur, le souci d’offrir au public une première œuvre aboutie. Point de départ également, car Ulysse a plus d’un album dans son sac, une riche expérience de la scène (Café de la Danse, Péniche el Alamein, Olympia, La Dame de Canton, Festival du cœur de l’été), déjà de nombreux autres projets en perspective, et plus d’une centaine de chansons qui demandent à sortir de sa guitare.
Un certain "art des équilibres" semble être l’obsession dans la musique et l’écriture d’Ulysse Manhes : son atmosphère sonore oscille entre rock cyclique à la Bashung et intimisme acoustique à la Souchon. Tantôt il nous embarque dans les vagues d’une mélodie répétitive, portée par les bons musiciens qui l’accompagnent, tantôt on se retrouve à nu, pris dans un tête-à-tête suspendu entre la guitare et la voix. Quant au texte lui-même, il est tissé d’un mystère mélancolique et décalé, chargé de nuances et de légèreté. Son œuvre est une sorte de voyage (qui comme Ulysse…) dans les vents contraires et la complexité des sentiments.
Le premier single de son EP, "Grandeur et décadence", est paru à la mi-septembre, accompagné d’un clip remarquable, réalisé par Émile Thevenin et une équipe de douze techniciens ; une esthétique délicate, feutrée, en ombres chinoises inspirées des films de Michel Ocelot (Azur et Asmar, Princes et princesses, Kirikou). Des propositions artistiques originales et nouvelles qui méritent un accueil à la hauteur.